
Les coulisses de la création
Qu’est-ce qui donne naissance à un parfum ?
La réponse est multiple. Parfois, tout commence par une demande personnelle, un mot glissé par un proche. D’autres fois, c’est un ingrédient qui attire mon attention, une matière que je veux explorer. Ou bien encore, la rencontre entre deux odeurs qui, juxtaposées, donnent naissance à une troisième. Dans ces instants rares, où 1 + 1 = 3, la magie opère.
La parfumerie vit de ces alliances inattendues. Certaines sont devenues célèbres au fil de l’histoire : le patchouli et le muguet, le santal et la rose, l’ambre et la vanille. L’art ancien reposait sur ces accords simples et stables, connus pour leur équilibre immuable. Aujourd’hui, le travail du parfumeur reste un art de la juxtaposition, mais la palette s’est immensément élargie. La quête est celle de l’accord nouveau, de la surprise, du jamais-vu.
L’expérimentation comme chemin
Dans ce métier, l’expérimentation est l’alpha et l’oméga. On ne peut jamais présumer qu’un accord fonctionnera : il faut l’essayer, le confronter à la réalité. Chaque jour, je compose, je rapproche, j’écoute les matières. Parfois la révélation est immédiate, presque accidentelle. Parfois, il faut insister, chercher, revenir encore. Parfois ce chemin est une impasse et je dois alors l'abandonner. Intuition et patience se mêlent en permanence.
L’intuition guidée par la rigueur
Choisir et assembler les matières premières repose avant tout sur l’intuition. Cette intuition n’est pas un instinct brut : elle s’appuie sur des années de pratique, sur la connaissance intime des facettes de chaque ingrédient. Car il ne suffit pas de juxtaposer : il faut aussi sentir la tension qui naît de leur rencontre. Et, parfois, introduire un troisième élément qui relie deux matières récalcitrantes pour que l’accord prenne enfin vie.
Un bon parfum, à mes yeux, tient souvent sur cinq ou six ingrédients essentiels. Ils forment le socle, environ 60 % de la formule. Le reste, ce sont des détails, des ajustements subtils, des embellissements qui viennent donner relief et profondeur. L’art consiste alors à éviter les redondances, à rester simple et robuste.
La discipline derrière l’inspiration
Intuition et rigueur sont indissociables. Créer, c’est à la fois laisser jaillir le désir et savoir juger sans concession le résultat. Le dosage est une question de proportion, et l’évaluation demande de la distance : il faut parfois laisser reposer un accord un jour, une semaine, avant de revenir l’écouter. C’est aussi une discipline d’écriture : tout noter, tout consigner, pour ne pas perdre le fil.
La création n’est jamais linéaire. Elle avance par bifurcations, retours en arrière, recommencements. Certains parfums se laissent apprivoiser vite, d’autres exigent des mois. Fragments Amoureux, par exemple, a demandé un travail long et minutieux. Ses notes vertes, puissantes et envahissantes, devaient être domptées, adoucies sans jamais les étouffer. C’est précisément cette tension qui lui donne son caractère unique.